La symbolique de la licorne et sa place dans la sémiologie du web ?
(“Come ooooon Chaaaaarlie” Charlie the unicorn, une de mes chouchoute d’internet.)
(Rappelons que ceci est de l’ordre de l’hypothèse à partir d’un certain temps d’observation sur les réseaux sociaux, je n’ai pas (encore ?) volontairement réuni un large corpus qui pourrait réellement (?) étayer mes propos.)
(Mais pas plus que Slate quoi.)
(Et il y a notamment des nuances dans le langage courant en lien avec la licorne que je ne connais pas bien, ou qui ont dû m’échapper, n’hésitez pas à m’interpeller si ça vous parle, je suis curieuse !)
Le web-magazine Slate a publié le 23 février 2016 un article qui s’intitule “Comment les licornes sont devenues le symbole de l’extraordinaire”. Un post assez court qui, selon moi, ne répond pas vraiment à la problématique de son titre et dans lequel je n’ai pas trouvé les réponses que j’imaginais.
Cependant, il soulève quelque chose que nous avons été plusieurs à observer :
“Les licornes ne se résument pas à une frénésie issue des méandres d’internet : l’animal mythique a aussi intégré notre langage et nos figures de style.”
Mais voilà : comment et pourquoi ?
Parce que ce qui me turlupine avec l’image de la licorne à l’heure actuelle, c’est sa place sur les espaces virtuels et dans l’imaginaire collectif du web.
La représentation de la licorne est devenue un élément à part entière de la sémiologie d’internet. Elle est partout, en textes et en images. En commentaires Facebook ou en tweet, tout un chacun est une licorne ou se souhaite “des coeurs et des licornes” comme un mantra, comme une bonne fée au dessus du berceau de ses ami(e)s : “ Tu auras une vie longue, avec de la joie et de la beauté, une belle voix… Et des licornes à paillettes.”
(Images : un bout de groupe de veille féministe Facebook et un bout de Thomas Hercouët)
Souhaiter tout cela à ses proches, à ses liens forts et ses liens faibles, c’est leur souhaiter possiblement le merveilleux, le fantastique… et l’extraordinaire.
La licorne et sa symbolique.
Initialement, dans le bestiaire médiéval, la licorne n’était pas une créature fantastique ou imaginaire. Elle existait vraiment. C’était juste qu’elle se cachait très bien.
“ Cet animal composite, qui emprunte une partie de son anatomie au cerf, au bouc, à la jument, voire à l’âne, au lion ou à l’éléphant, existe-t-il vraiment ?Jusqu’au début de l’époque moderne, les plus hautes autorités du savoir occidental Aristote, Pline, la Bible, les bestiaires ont répondu par l’affirmative”*.
L’historien et spécialiste des images et du bestiaire, Michel Pastoureau ** en parle très bien, que ça soit ici ou là.
(* Source : 4eme de couverture de Les secrets de la licorne, de Michel Pastoureau et Elisabeth Delahaye, édition RMN)
(** Je risque de vous tanner souvent avec ce monsieur, vous êtes prévenus.)
Mais depuis l’époque moderne donc, il semblerait qu’en vérité, il n’existe pas de cheval avec une corne torsadée sur le front (et qui a un faible pour les jeunes et jolies pucelles, on y reviendra plus tard). Les seules reliques que l’on pouvait trouver, étaient de vraies cornes, mais très probablement des appendices de narval (source : La licorne et la corne de licorne chez les apothicaires et les médecins) Ça permet même de créer des mèmes avec (voir image ci-dessous).
Cependant, l’imaginaire et le pouvoir symbolique existe bel et bien.
La licorne est alors devenue l’étendard du merveilleux, de l’idéal, et donc… de l’impossible.
(Image : gravure d’une licorne occidentale, dans Historiae Animalium parConrad Gessner, 1551.)
La licorne et l’impossible.
C’est probablement pour cela, qu’à l’époque d’internet et du mème (1), il y a eu une charge ironique dans l’imagerie de la licorne.
Alors que l’économie est en berne et que les jeunes diplômés n’ont pas d’autres perspectives d’avenir que des stages (coucou la Loi Travail et le hastag #OnVautMieuxQueÇa), l’emploi “en poste”, “stable”, et qui permet d’avoir un appartement de plus de 15m2 et des crédits à la banque, semble
être… une licorne.
Pour le coup, je cite le post de Slate :
“Le parc lexico-zoologique des licornes continue de se peupler», constate le Boston Globe. Le terme est devenu un qualificatif à valeur de superlatif absolu, dépouillant au passage d’autres expressions de leur force. «J’aime beaucoup ce nouvel emploi métaphorique de la licorne en tant que modificateur car il contient un élément de surprise, qui rappelle que la chose dont nous sommes en train de parler, un job, un partenaire, etc., n’est pas seulement rare mais n’existe peut-être pas du tout, relève Anne Curzan, professeure d’anglais à l’université du Michigan, auprès du Boston Globe.”
Un jeune en recherche d’emploi l’avait d’ailleurs très bien exploité avec une image devenue virale, qui a d’ailleurs donné une suite (La question que je me pose alors est : a t-il trouvé un emploi depuis ?)
Nous pouvons continuer dans l’exemple du travail avec ce que disait Slate dans son article : “ Pour les entreprises de la Silicon Valley valorisées à plus d’un milliard de dollars avant même d’être cotées en bourse, on parle de licornes. Pour un joueur de basket au profil atypique, on parle de licorne.”
J‘ajoute, avec cette autre citation :
“Ce terme (…) est apparu la première fois en 2013 sous la plume de Aileen Lee. Cet analyste américain, qui est également le créateur d’un fonds d’investissement, a décidé de regrouper sous l’appellation “unicorn” — licorne en anglais — les entreprises présentant une certains nombre de caractéristiques communes. A savoir : être installée sur le sol américain, être spécialisée dans les nouvelles technologies, avoir moins de dix années d’existence et être valorisé plus d’un milliard de dollars avant même d’être cotée en Bourse.”
(Source : Qu’est-ce q’une licorne des nouvelles technologiques ?)
Bref, le terme de “licorne” existe aussi du point de vue des entreprises et des chercheurs d’emploi, la symbolique de l’animal s’inscrit bien dans la vie réelle.
Mais pas que.
La licorne numérique (et les petits poneys.)
(Je triche un peu avec ce titre mais je trouvais que ça sonnait bien.)
C’est davantage la place de la licorne dans l’espace numérique en général qui est intéressant ici.
Mais en effet, je vais aborder le sujet des “bronies” (contraction du mot “brother”, frère/pote/”bro” et “ponies/pony”). Ces fans, adultes, du dessin animé My Little Pony (la version de 2010), où il y a des petits poneys mais aussi des licornes, des pégases…
Le truc, c’est qu’il semblerait que dans ce dessin animé, en identifiant une partie de ses spectateurs (adultes donc), les créateurs auraient ajouté des références cachées à la pop culture, à la culture geek, etc. Commence alors un jeu entre le dessin animé et ses fans. L’image devient en quelque sorte conversationnelle (coucou André Gunthert), et le bronie va reprendre/transformer/partager/échanger des images de My little Pony sur les réseaux. Et c’est ainsi qu’on fait des mèmes.
Et des mèmes de licorne, il y en a foison. Il suffit d’aller sur le site Know your meme et de taper “unicorn” dans la barre de recherches pour en voir une pelletée.
(Les licornes et internet, cela semble être une grande histoire d’amour.)
Les bronies sont apparemment majoritairement des hommes (dont le mot “brother/bro”), mais la licorne est aussi reprise par les femmes et cela semble être davantage dans la revendication sociale.
La licorne et les demoiselles.
Initialement, l’animal était appelé au masculin, avec le mot italien “alicorno” (qui vient lui même du latin “unicornis”). Il est devenu un nom féminin avec le temps, tant son lien avec la féminité était fort. Elle n’aime que les vierges (elle tue d’ailleurs celles qui ne le sont pas), elles servaient d’ailleurs de piège pour l’approcher (et là, les hommes pouvaient capturer la pauvre licorne qui n’avait rien demandé).
Le lien entre les licornes et les femmes est indissociable.
“Les célèbres tapisseries de La Dame à la licorne fournit l’occasion de faire le point sur l’histoire de cette créature indomptable, symbole de pureté et de virginité, dont la corne merveilleuse a pour vertu d’annihiler les effets du poison et d’éloigner les forces du mal.”
La continuité logique est que le symbole de la licorne soit repris sur internet par les communautés féminines et pourquoi pas même féministes.
Et c’est en effet ce qui semble se passer.
La licorne n’existe pas (il semblerait) et pourtant, elle vit dans l’imaginaire collectif, les films, les livres… Ces communautés, à l’inverse, existent, mais ne sont pas représentées. C’est une sorte de pied de nez, une ironie, que d’utiliser cet animal ci.
Des femmes qui revendiquent le fait d’être vierge ou non, par choix, de ne pas être qualifiée de “pure” et de ne pas être seulement des symboles, un idéal de la femme “bien comme il faut”, mais des êtres humains à part entière (avec des faiblesses, des forces, et même des fonctions biologiques). Et pourquoi pas des “créatures indomptables” également, si l’envie leur en prend (ou d’être domptées parfois, tant que c’est par choix, chacune fait bien ce qu’elle veut.)
Cette image de la femme qui ne peut approcher une licorne que si elle est vierge et pure, semble si désuète qu’elle peut en être drôle et qu’elle peut être ironique et retournée.
Si des jeunes diplômées peuvent blaguer sur le fait que le CDI n’existe plus, un groupe féministe peut bien blaguer sur le fait… qu’une femme pouvant approcher une licorne n’existe peut-être pas non plus. Et que c’est très bien comme cela.
(Source : L’écho des sorcières.)
Il existe même une “loi de la licorne”, définie en 2009, en lien avec les femmes et internet (plus précisément l’Open Source), disant en somme qu’une femme dans l’Open source fera forcément une conférence… sur le fait d’être une femme dans l’Open source :
“La Loi de la Licorne est un jeu de mot sur la Loi de Godwin. Pour celleux pour qui ce terme n’est pas familier, la Loi de Godwin affirme que « Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1. » Dans la Loi de la Licorne, c’est la probabilité qu’une femme dans l’Open Source parle d’être une femme dans l’Open Source qui s’approche de 1.”
(Source : Le féminisme geek — La loi de la licorne)
L’autre communauté qui s’est appropriée la symbolique et l’image de la licorne est la communauté LGBT par exemple (un groupe souvent proche des féministes dans le combat des revendications sociales, car les deux sont oppressées.)
Donc, la légende dit que l’animal n’est attiré que par les femmes pucelles. Il y a un lien au sexe très fort dans sa symbolique en somme. Il est plutôt logique qu’une communauté qui est perpétuellement jugée par le sexe (que ça soit le genre, ou “Tu couches avec qui ?” alors que c’est supposé concerner l’individu et pas forcément les groupes), fasse un clin d’oeil à ce cheval aux goûts bien précis et toujours définis par ses choix “sentimentaux”.
(Alors que personne ne fait allusion au fait que d’après la légende une licorne avait un cri assez nul par exemple. Pourtant c’est plutôt rigolo comme caractéristique. Et ça change du sexe.)
(Trouvé ici : http://fibres-noires.blogspot.fr/2016/01/licorne-feministe-inclusive-if.html)
(Y’en a aussi qui dise ça, pour continuer sur la licorne et la représentation sexuelle, y’a un petit côté Freudien :)
La licorne et les invisibles.
Alors la licorne, ça serait aussi l’individu qui n’existe pas juste parce qu’il n’est pas représenté médiatiquement.
“Un homme sur deux est une femme” et pourtant les femmes ne sont pas représentées à 50% dans les médias, ni même dans l’emploi par exemple (Vous pouvez notamment lire le blog de Mirion Malle, ou son livre, qui est une très bonne introduction au sujet, et en images.) Tout comme la communauté LGBT qui n’est pas particulièrement bien représentée non plus (je pense notamment à la polémique autour du film The Danish Girl, où c’est un homme qui a joué le rôle d’une personne transgenre, alors qu’il existe plein de chouettes acteurs transgenre. Même si l’acteur a très bien rempli son rôle d’après moi, la question se pose malgré tout.)
Ça semble être plutôt logique que l’animal soit devenu l’étendard, ironiquement ou non, des “communautés invisibilisées.”
En somme, une licorne aujourd’hui serait quelque chose dont on parle et qui existe, mais que personne ne voit : que ça soit l’emploi idéal ou une communauté de personnes qui existe belle et bien mais qui n’est pas représentée médiatiquement.
Peut-être que souhaiter “une licorne à paillette” à quelqu’un, c’est donc lui souhaiter l’extraordinaire, mais aussi lui dire “Je reconnais ton existence et que tu es un être merveilleux”.
(Ça serait plutôt cool, non ?)
(1) : Un mème internet est un anglicisme (venant d’« Internet meme ») utilisé pour décrire un élément ou un phénomène repris et décliné en masse sur internet. (Source : Wikipédia)
Bonus :
Des ajouts de lecteurs/trices !