Qui est la Féminazi ? Une présumée violence des cyberféministes revendiquées, et pendant numérique de la sorcière.
Lors d’une journée d’étude à l’Université Rennes 2 en mars 2018 sur la violence des femmes, avec un choix d’approches transversales et méthodologiques, j’ai pu présenter ce qui devrait constituer une petite partie de ma thèse en cours sur la représentation du corps en ligne dans le cadre de revendications féministes en France.
En effet, lorsque l’on m’a proposé de présenter une communication lors de cette journée, la première manifestation de violence féminine que j’ai eu en tête était la féminazi (ou “féminazie”). Ces personnes qui sont régulièrement accusées d’être violentes sur Internet.
Mais est-ce une réelle violence ou plutôt une violence présumée, voire fantasmée ?
Sachant qu’une des grandes questions qui reste le fil rouge de mon travail est de savoir comment les Technologies de l’Information et de la Communication « articulent» cette (possible) communauté des cyberféministes, ainsi que ses modes de représentations.
Avant toute chose, précisons que je n’aborderai pas ici la question du féminisme d’extrême-droite (ou des femmes nazies) mais bien de la figure de la “féminazi”, de ses images et discours très répandus en ligne.
Commençons par le début en se demandant qui est cette fameuse « feminazi », terme que l’on peut lire sur les médias sociaux numériques mais que l’on entend même parfois en soirée ? Ensuite, quelles représentations pouvons-nous trouver d’elle ?
Bref, on y va. Reprenons les bases en démarrant avec des définitions (parce qu’il y en a). D’après Wikipédia (source collaborative en ligne) :
« Féminazi (ou Fémifascisme) est un terme péjoratif utilisé pour désigner les féministes perçues comme extrémistes ou radicales, les femmes perçues comme recherchant une supériorité sur les hommes, ou encore, toutes les féministes. C’est un mot-valise composé de féminisme et nazisme, popularisé par le républicain américain Rush Limbaugh au début des années 1990 pour désigner « deux douzaines de féministes pour qui la chose la plus importante dans la vie est de faire en sorte que le plus grand nombre d’avortements puissent être pratiqués ». Limbaugh utilise encore ce terme dans ses émissions et ses publications pour qualifier certains mouvements pro-choix ou défenseurs de la contraception aux États-Unis.»
Ajoutons à cela une citation (que j’apprécie tout particulièrement) du chercheur Francis Dupuis-Déri, professeur québécois, dans son article Féminisme au masculin et contre attaque« masculiniste » au Québec (2004) :
« La rhétorique « masculiniste » fait un usage récurrent d’expressions clairement péjoratives, comme la « guerre féministe », les féministes « extrémistes » et/ou « enragées », la « domination » féministe et le « féminazisme ». Cette dernière expression indique le manque de nuance de la pensée « masculiniste ». Si elle insulte la mémoire des victimes du nazisme et l’intelligence de quiconque observe avec calme la société québécoise d’aujourd’hui, l’expression est tout de même utile d’un point de vue rhétorique puisqu’elle évoque l’image de « masculinistes » qui résistent héroïquement contre la tyrannie.»
Nous avons donc un terme qui est un bel exemple du point Godwin, désignant les féministes comme des “nazis”, pratiquant la “guerre des sexes” qui devraient, par cette logique, être prêtes à tuer pour imposer leurs idées.
Cependant, il semblerait que jusque là, le féminisme n’ait tué personne, tandis que le patriarcat le ferait encore tous les jours.
“(…) Ce n’est pas exactement sur cette voie que le féminisme à coutume de s’engager : on parle plus volontiers de self-defense que de contre-attaque.”
Eric Fassin, Représenter la violence des femmes : performance et fantasme.
Dans ce texte, Eric Fassin nous invite à distinguer la violence de la domination et à reconnaitre les performances, les fantasmes de la violence.
Le fantasme d’un individu animal, en prise à ses pulsions, une “femme des cavernes”, plus encline à la passion qu’à la raison. Une hystérique, une terreur. toujours, qui s’en prend à l’homme à cravate et chemise blanche, bien propre sur lui. Une femme qui “harcèle”. Une femme psychopathe à tronçonneuse (mais ici, toujours souriante avec du rouge à lèvres, nous restons sur de la couverture de magazine tout de même).
Nous sommes dans l’extrapolation de cette violence : elles chassent, elles vous voient, font la guerre, sèment la terreur…
Images et discours que nous pouvons même retrouver dans certains médias donc, mais pas seulement, et ici, ce qui nous intéresse surtout : c’est Internet.
Alors même s’il faut avoir recours à des mises en scène pour avoir accès à des représentations de violence féminines (ce qui peut déjà mettre la puce à l’oreille), l’image de la féministe hyper violente perdure malgré tout. Et c’est peut-être justement par ces mises en scène. Une sorte de fantasme de la violence, qui peut exister dans “les deux camps”.
Eric Fassin écrit d’ailleurs ceci dans son texte Représenter la violence des femmes : performance et fantasme :
“ La violence des femmes, telle que le féminisme la revendique, ne pose pas de bombes ; elle ne coupe pas de têtes. (…) La guérilla féministe est bien davantage symbolique inscrite dans la domination masculine. Songeons par exemple, dans le monde de l’art, aux “Guerrilla Girls”(qui sont en quelque sorte les ancêtres étasuniennes des féministes françaises de “La barbe”) : leur masque de gorille résonne ironiquement, en anglais, avec le nom du groupe. Autrement dit, si elles font peur, c’est pour rire. Elles n’ont jamais mangé personne…”
(…)
“C’est bien parce que la violence est symbolique qu’on est dans la réalité du fantasme féministe.”
(…)
“Figurations et défigurations des femmes violentes ? Il s’agit bien de représentations.”
Une image commune qui semble dépasser les frontières.
Le mot “féminazi” semble être partout. Son apparition sur Internet est croissante.
De ce que j’ai pu observer en ligne, “féminazi” existe en français, en anglais, en espagnol, en portugais… Sans bouger d’un pouce. Il traverse les frontières, tout en gardant un visage plutôt similaire, hors du corps “normé” : une “mauvaise” féministe, moche, agressive, grosse, poilue, mal habillée, avec des modifications corporelles parfois (piercings, tatouages), les cheveux rasés de temps en temps, colorés…
Et c’est justement là que le lien avec mes recherches doctorales se fait : cette représentation du corps. Il y a une utilisation du corps humain récurrente mais surtout avec des signes distinctifs.
Et en effet, j’ai fini par classer les parties du corps qui sont récurrentes dans sa représentation en ligne : cheveux, peau, poils, poitrine, etc.
Pour cette communication de journée d’étude, je me suis décidée à taper le mot dans des moteurs de recherches classique (Google, mais pas seulement) pour observer ce qui en ressortait :
Le fait d’être grosse, poilue, de se dénuder (ou de porter des vêtements dit “mixtes”, ce qui veut dire souvent masculins d’ailleurs, comme si elle cherchait à s’approprier des caractéristiques dits masculines), d’avoir les cheveux courts (pareil, les cheveux courts sont considérés comme réservés aux garçons)… Fasse déjà de vous une féminazi. Vous n’êtes déjà plus dans ce que l’on attend de vous en tant que femme, avec un corps où rien ne pousse, ou rien ne dépasse, qui reste bien à sa place.
Et pourtant, nous pouvons voir alors apparaitre des nouveaux corps : la modification corporelle comme “marque du Diable”, la nudité de la pécheresse, les cheveux rasés de la traitresse ?
En somme, il semblerait que la féminazi, c’est un peu une sorcière des temps modernes.
J’ai ensuite repensé à ce que j’avais pu croiser lors de mon observation de terrain, sur les médias sociaux numériques.
Il suffit alors de taper le mot dans l’espace recherche de Twitter par exemple.
Plusieurs choses en ressortent :
Dans la plupart des discours, sous forme de tweets, de commentaires ou de vidéo Youtube par exemple, il semblerait que tout soit bon pour justifier le comportement de la cybermilitante féministe (« elle est hystérique », « elle est mal baisée », « elle a des problèmes avec son père », « elle est frustrée », etc) … Tout, sauf le patriarcat. Car, pour les anti-féministes, si elle était “jolie” ou qu’elle avait un petit copain, elle n’aurait surement pas de raisons d’être en colère, elle aurait tout ce qu’une femme peut espérer avoir (ce qui se résume globalement à l’ambition d’une princesse Disney des années 50). Si bien que c’est bel et bien de la faute des “féministes extrémistes” et non pas des oppressions systémiques dues au genre.
Et pourtant, comme le dit Dominique Lagorgette (2017) :
“Si penser la violence des femmes parait difficile dans un univers culturel aussi bien délimité, en termes de stéréotypes genrés, que le nôtre, cette violence est pourtant bien mise en scène dans l’imaginaire, et ce dès les textes fondateurs de la culture occidentale.”
Le terme de “mise en scène” n’est pas anodin.
Les anti-féministes tiennent un discours qui décrédibilise le combat de la « féminazi » (puisque « elles desservent leur cause », « elles voient le mal là où il n’y en a pas », « elles ne font pas appel à la raison mais à la passion », « elles sont hystériques », etc) accompagné de représentations qui cherchent à les caractériser, les ridiculiser.
Et enfermer des individus dans une forme de représentation qui les décrédibilise (ou cherche à faire d’eux des objets, et non pas des personnes) n’est pas un phénomène nouveau, bien au contraire.
Réappropriation et retournement du stigmate.
Nous avons donc les féminazis par le prisme des anti-féministes, mais il n’y a pas que cela. Alors comment de mon côté, j’ai rencontré les fameuses féminazis lors de mes recherches ?
Avec un observation non participante remontant à 2012 (devenue une participation observante, mais c’est une autre histoire) de compte Twitter, groupe Facebook de veille féministe et autre blogs ou sites de témoignages, il est apparu que les mots : féministes, féminazi, féminazguls pour les amatrices de Tolkien, misandre, sorcière, SJW pour Social Justice Warrior, … Sont devenus des façons de présenter et de se représenter en ligne, notamment dans les biographies Twitter, avec des identités semi-déclarées (puisque la plupart sont sous pseudonyme). C’est d’ailleurs grâce à ces termes que j’ai pu sélectionner des comptes à lire et mettre de côté pour mes recherches.
Ce sont globalement des jeunes femmes, d’environ 18 à 28 ans, hyper-connectées, ayant fait des études supérieures dans la grande majorité, qui lisent, s’informent, se renseignent… Elles ont plusieurs comptes, sur plusieurs réseaux sociaux.
L’enquête ne se faisant pas auprès d’associations en particulier, où je pouvais aller à la rencontre des adhérentes, mais auprès de personnes isolées, même si elles finissent par se regrouper sous forme de “communauté” en ligne, grâce aux réseaux sociaux. Il fallait bien quelques éléments pour identifier celles qui pouvaient rentrer dans le cadre de cette étude. Et c’est passé par leur représentation de soi en ligne.
Rien qu’avec ce phénomène là : nous sommes face à une réappropriation de l’insulte et un retournement du stigmate, dans une prise de position politique, comme cela avait été fait avec l’insulte “Queer”.
Alors que les biographiques Twitter sont très courtes, qu’il faut faire un choix pour se représenter au monde, les mots choisis vont être ceux là.
“ Il va peut-être falloir oser des comportements réservés aux hommes, comme la violence, pour se défendre. (…) Il va falloir se réapproprier l’insulte pour neutraliser son rôle policier. Il faut prendre l’insulte pour en faire une catégorie politique, elle va en perdre son contenu infamant. L’insulte est notre langage, c’est ce par quoi nous pouvons devenir des sujets. C’est tout un travail, un effort, d’acceptation et de politisation des mots.”
Elsa Dorlin, philosophe
Au niveau de l’image, c’est un phénomène plutôt similaire : à grands coups de selfie, illustrations ou photographies où on assume ses cheveux courts, sa peau imparfaite et ses cicatrices, ses modifications corporelles, son poids, ses seins, son âge, sa nudité … On normalise ce qui ne l’est pas encore, on déplace le curseur, on dérange. Voire, on joue de ces codes et de la représentation de la féminazi pour la reproduire ou juste assumer ce qui était déjà là.
Au risque d’être cyberharcelées, elles prennent le risque de se montrer, dans le but de dire qu’elles ont droit d’exister, y compris dans l’espace public.
Certaines ne montrent que leur visage, d’autre que leur corps nu sans la tête afin de ne pas être identifié, d’autre encore seulement des parties très précises de leur anatomie (poils, cicatrices, tétons par exemple), ou pour raconter des fluides dont nous ne sommes pas supposés parler, comme le sang des règles, se jouant des règles de censure des plateformes en ligne.
Souvent accompagnées de textes qui expliquent leur démarche, elles en profitent pour raconter à l’internaute que justement, elles ne sont pas qu’une enveloppe corporelle, mais bien un individu dans sa globalité.
Des images additionnées de Hashtag qui les inscrivent dans une démarche communicationnelle, dans un mouvement tel que #MeToo ou le bodypositivism (#LesPrincessesAussiOntDesPoils, #BodyPositive, #BodyPosi), le tout parfois accompagné d’une traduction, afin que les messages, qui peuvent sembler “ésotériques”, dépassent les frontières, et forme une communauté en ligne encore plus grande.
Agir ainsi est aussi une manière de garder des traces numériques de tous ces contenus. Il y a une importance de l’archivage, de regrouper des témoignages, des images, des discours, pour prendre de la place médiatiquement parlant. Mettre en commun, centraliser l’information, faire prendre conscience aux autres, se souvenir et faire nombre. Faire corps.
C’est une démarche qui a désormais une forme plutôt normalisée, pour faire passer globalement le message de la tolérance de tous les corps, même les gros, les poilus, les imparfaits, les vieux, ceux qui pendent, les trop “comme ci” ou “pas assez comme ça”… Afin qu’ils ne soient plus persécutés (le fait qu’elles puissent être cyberharcelés est une persécution) ou effacés de l’espace public (ou pousser à être effacés en incitant des femmes à quitter les réseaux sociaux). Désormais, très rapidement, le Hashtag du propos est affiché, s’inspirant parfois des précédents. #PayeTaSchneck a eu des nombreux petits avec #PayeTesViolencesGynéco, #PayeTonFlic, etc.
Le retour des sorcières dans sa version numérique ?
Ces cyberféministes utilisent leurs paroles, leurs corps et leurs savoirs, sortent du cadre imposé par leur genre… Comme les sorcières d’autrefois ?
Comme vu précédemment, l’analogie féminazi/sorcière se fait directement avec des mème ou dans la description du personnage : moche, aigrie, hystérique…
L’image classique de la sorcière est souvent celle d’une femme vieille (ou très belle, qui utilise d’ailleurs ses pouvoirs pour cela) mais toujours seule (Un peu comme l‘image des “féministes mal-baisées” comme nous pouvons malheureusement le lire régulièrement en ligne par exemple)
Le lien entre sorcière et féministe est régulier.
Et il semblerait que ça soit d’ailleurs le grand retour des sorcières. C’est un terme qui apparait tout autant dans les biographies Twitter que “féminazi”. Il finit même par devenir un signe de reconnaissance entre les cyberféministes, par exemple dans les biographies que nous avons vu précédemment.
Elles sont désormais partout et font groupe.
Comme le dit Beaux-Arts Magazine dans cet article en ligne :
La sorcière, image absolue du féminisme ? C’est ce qu’affirme « Gang Of Witches », communauté artistique et engagée à géométrie variable.
Un évènement qui questionne les représentations féminines mythologiques, de la sorcière à la sirène, en passant par les notions de nudité et de sororité.
La sorcière a toujours été une femme qui dérange : une femme-savante, qui n’était pas mariée, celle qui connaissait les plantes, avait un savoir médical, connaissait des paroles magiques, ou pratiquait des rituels voulant changer le cours du destin ou influer sur les choix des Dieux.
“Les femmes libertines, rebelles, folles, déficientes, guérisseuses, diseuses de bonne aventure ou celles dont la tête ne revient simplement pas à son voisin ou son curé sont dans la ligne de mire.”
Des femmes de pouvoirs, qu’on persécutait et qu’on cherchait à faire disparaitre. Lors qu’il y avait procès et qu’elle était déclarée sorcière, tout devait être brulé : la femme, ses affaires, sa maison… Il ne fallait laisser aucune trace.
Alors que les femmes racontent et se racontent sur les réseaux sociaux, pour parler de la persécution au quotidien du à leur genre (ce qui les inscrit tout à fait dans la 4eme vague du féminisme), il est tout à fait logique qu’il y ait une réappropriation de l’imaginaire autour de la sorcière. C’est justement dans cette tentative d’effacement, de persécution des sorcières, et de contre-attaque, que nous pouvons aussi trouver un parallèle entre les deux situations, sur le terrain médiatique.
La féminazi pourrait alors en être un de ces pendants numériques. Cette génération de jeunes femmes, très présente sur Internet, que j’ai pu observer durant cette étude, a d’ailleurs grandi avec tout une culture populaire traitant du fantastique (Buffy contre les vampires, Charmed, etc) qui proposait des personnages féminins forts (à contrario des princesses Disney par exemple), dont les pouvoirs se révélaient face à l’adversité. Elles peuvent être au fait de terme comme “paganisme”, “magie blanche”, en passant par des objets rituels ou autre fétiches. Des vagues connaissances ésotériques, dans tous les sens du terme, obtenues notamment par des objets de la pop culture de ces générations, ou par des recherches en ligne de la même période. Les années 90 et début 2000 étaient chargées en site Internet sur ces thématiques : souvent un fond violet ou noir, des .gif de colombes et des images plutôt “cheap”, des curseurs à paillettes… (Si si, souvenez-vous.)
Il y quelque chose de l’ordre du jeu dans ces mises en scène, que l’on peut peut-être rapprocher de l’humour misandre qui dénonce par l’absurde les accusations de “misandrie” en jouant à fond cette carte de la haine des hommes, tout en faisant croire à un “grand complot féminazi” (et permettant de dédramatiser les oppressions vécus au quotidien en ligne)
Que ça soit traité sérieusement ou non, il y a une invocation de tout cet univers, de cette force de la sororité, de la connaissance.
Nous pouvons presque faire un parallèle entre ces Hashtag qui peuvent paraitre incompréhensibles pour les non-initiés, qui seraient comme des formules magiques, des signes de ralliement pour faire groupe, invoqueraient l’empowerment et permettraient de changer le cours du destin. Tout cela colle à la définition d’une sorcière, dans son sens le plus ancien du terme.
Les liens entre communauté féministe et numérique sont nombreux, je pense notamment à l’instance “Witches.town” du réseau social décentralisé Mastodon.
Même si elle n’existe plus, elle a rapidement regroupé certains types d’individus (dont moi, j’avoue tout) juste par ce nom. Comme si le mot “witches” (“sorcières” donc) avait invoqué les féministes du réseau.
Régulièrement sur les réseaux sociaux, nous pouvons trouver des informations sur ce sujet. Par exemple, le hasard a fait qu’en travaillant à la finalisation de ce billet, ces tweets sont apparus dans mon fil :
Une violence symbolique.
Pour préparer ce travail, j’avais lu l’ouvrage “Penser la violence des femmes”, publié aux éditions La Découverte. Les articles de ce livre relatent notamment l’histoire de femmes violentes, de la chasse aux sorcières donc jusqu’aux suffragettes, en passant par les tricoteuses par exemple. Et comment la violence est traitée par le prisme du genre, sachant que ce n’est généralement pas considéré comme étant une caractéristique “féminine” que d’être violent, cela n’est pas valorisé chez les femmes (contrairement aux hommes). Si bien que certaines formes de violences peuvent être passées sous silence ou d’autre seront exacerbées.
Dominique Lagorgette a quant à elle rédigé un article intitulé La violence des femmes par les mots. Sorcière, tricoteuse, vésuvienne, pétroleuse : un continuum toujours vivace ?
Ce papier a fait sens dans l’idée que la féminazi était bien dans la continuité de tous ces termes, de ces noms d’oiseaux, de ces insultes.
Alors, après les sorcières, tricoteuses, pétroleuses, suffragettes, tondues… Les féminazis ? Serait-elles le pendant numérique et contemporain de la sorcière d’autrefois ? J’aurais tendance à dire que oui, que ce n’est que la continuité dans un système toujours sexiste, où la violence dont sont accusées les cyberféministes est toujours symbolique.
Eric Fassin cite l’exemple du film Telma et Louise (1991) pour expliquer ces notions de performances et de fantasme de la violence, je vais en préférer deux autres (et qui ne représentent pas des sorcières comme on l’entend habituellement) repartagés dans la communauté en ligne que j’ai pu observer : le tableau Judith décapitant Holopherne, par Artemisia Gentileschi (1620) où la peintre avait reproduit le visage de son violeur sur le corps de la figure mythologique d’Holopherne. Ou avec la série télévisuelle Sweet/Vicious, qui raconte les aventures de deux jeunes femmes qui “cassent la gueule” aux violeurs de leur faculté aux USA.
Ce sont deux époques éloignées mais toujours porteuses d’un même message, repartagé aujourd’hui sous forme de tweet, pour dire qu’il faudrait “décapité (symboliquement) le patriarcat” (et non pas les hommes eux-mêmes) mais qu’en attendant, elles n’ont encore jamais vraiment décapiter personne (et autant dire que c’est tant mieux, restons civilisés).
Mais pendant ce temps, les “féminazis” sont accusées d’être violentes parce qu’elles disent, par exemple, publiquement, qu’en France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son mari.
Un peu de bibliographie et autres :
- Penser la violence des femmes, sous la direction de Coline Cardi et Geneviève Pruvost, 2017, édition La Découverte
- Fanny Bugnon, Les Amazones de la terreur : sur la violence politique des femmes, de la Fraction armée rouge. Action directe, 2015
- Arturo Graf, L’art du diable, 2009, Parkstone Press Ltd
- Barbara Ehrenreich, Deirdre English, Sorcières, sages-femmes et infirmières: une histoire des femmes et de la médecine, 1973
- Elsa Dorlin, Se défendre. Une philosophie de la violence, 2017
- Patrice Flichy, Le sacre de l’amateur : Sociologie des passions ordinaires . l’ère du numérique, 2010
- Fabien Granjon et Julie Denouël, Exposition de soi et reconnaissance de singularités subjectives sur les sites de réseaux sociaux, 2010
- Marie-Anne Paveau. Quand les corps s’ ́écrivent. Discours de femmes à l’ère du numérique. Eric Bidaud. Recherches de visages. Une approche psychanalytique, 2014.
- Conférence de Dominique Camus sur La sorcellerie en France aujourd’hui, novembre 2017 aux Champs Libres dans le cadre de l’exposition “J’y crois, j’y crois pas”
Par ailleurs, nous avons appris entre temps que l’essayiste Mona Chollet allait sortir à la mi-septembre 2018 un nouveau livre sur la figure de la sorcière, qui sera surement un livre intéressant pour compléter ces sujets !
Un résumé de cet article a été publié en avril 2019 dans le numéro 2 de la revue En marges !
(Il existe un fichier audio de ma présentation lors de la journée d’étude, pour celles et ceux que ça pourrait intéresser, mais ayant été interrompue de nombreuses fois pendant la communication, ce n’est pas vraiment agréable à écouter.)